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La nouvelle donne
Brillant,
fin, mais trop discret, Eric Ter sort son cinquième album officiel chez
Bluesiac. Il se donne une embellie, une sorte de respiration
acoustique capiteuse. Et cette embellie voudrait clamer, dès le titre (Nu-Turn)
dans quelles nouvelles dispositions se trouve notre homme. Mais
voilà : faux album de folk avec sa limpidité fallacieuse,
authentique album de rock intime, cette noirceur sournoise et
contemplative, et ces magnifiques pickings velvétiens !
L'homme…
Eric Ter : Je suis né en 1952
à Paris, dans un milieu modestement bourgeois (ou bourgeoisement
modeste). J’ai rodé ma première guitare sur Les Chaussettes Noires, Les
Chats Sauvages, Les Pirates, Les Vautours et autres yéyés, puis Chuck
Berry, Little Richard, et, de façon encore plus déterminante ensuite,
Bob Dylan et Jimi Hendrix.
En 1976, je signe mon premier contrat chez Charly et
un autre chez Tréma en 1978. Hors contexte artistique, ces contrats
m'ont amené pas mal de déconvenues, de problèmes juridiques… qui se
sont ajoutés à une situation personnelle déjà difficile. Je suis donc
parti aux États-Unis en 1979. J’y ai rejoint mon copain batteur Marc
Frentzel. On a traversé les États d’est en ouest au volant d’une
Cadillac ‘Coupe de Ville’, et je suis arrivé comme ça en Californie.
J’y ai séjourné jusqu’en 1994. Pas mal de petits jobs. Finalement, je
crée un petit business de production en tous genres, rock, blues,
country, fusion, gospel, rap… J’exerce les fonctions d’ingénieur et
producteur multi-instrumentiste. Bon, autant du côté de L.A. que
précédemment à Paris, je rame toujours pour mettre verbalement mon
travail en valeur auprès des fonctionnaires de maisons de disques. Ne
me connaissant pas, ils me font toujours sentir que je suis le énième
clampin venu les importuner. Mes périodes de prospection sont donc
rares et brèves, et je retourne rapidement à mon travail
d’enregistrement…
J’ai toujours roulé ma bosse en tant que frontman,
mais je suis d’un naturel peu expansif qui m’a surtout porté à imprimer
de la bande magnétique dans mon coin. J’ai, de cette façon, produit
sept ou huit albums de titres originaux, sans label ni diffusion à ce
jour. Maintenant j’ai besoin de jouer live.
En 1994, plusieurs évènements me secouent. Trois
rappeurs braquent un énorme flingue sur moi, dévalisent mon studio et
s’en vont avec ma voiture. Ajoutez à ça une déconvenue sentimentale,
plus un bon gros tremblement de terre… Ces incidents m’incitent à
regagner ma ville natale…
Ter… :
Mon vrai nom est Ter-Sarkissian. Je le trouvais un
peu compliqué, j’ai donc signé mes premiers albums Sirkel. Mauvaise
idée. Ter c'est mieux, mais je n’y avais même pas pensé à l'époque.
Bref, je me suis appelé Éric Sirkel de 1976 à 1986. Nu-Turn, est mon cinquième album labellisé. Les deux premiers, ceux sous le nom d’Éric Sirkel, s'intitulaient : Sirkel & Co (1976) chez Charly, et Vertige deux ans plus tard, chez Trema. Le troisième, Barocco, est sorti en 2003 sous le nom d’Éric Ter, et puis Chance et Nu-Turn chez Bluesiac. Socadisc pour la distribution.

Mick Taylor : Le premier, Sirkel & Co,
était produit par Robin Millar, enregistré aux studios de Rockfield
(Pays de Galles) et Olympic (Londres). J’avais des musiciens
prestigieux, les batteurs Colin Allen et Marc Frentzel, Ronnie Leahy
aux claviers, Gordon Raitt à la basse… et Mick Taylor qui venait de
quitter les Stones et qui a participé à quatre titres. Vers 1995, je
découvre une substantielle amélioration de mes revenus de droits
d’auteur sur mes relevés Sacem. Devant ces chiffres réjouissants, je
lis le code : « GéRo ». J’appelle la Sacem, qui m’informe de sa signification : « Génies du Rock », la série des éditions Atlas. Tiens ? Je vais donc trouver les éditions Atlas… et je constate que mon album Sirkel & Co, dans son intégralité, a été ré-intitulé : Mick Taylor !
Je ne suis pas rancunier de nature, mais je regrette vraiment de
n’avoir eu, à l’époque, ni la colère suffisante ni les moyens de me
payer un bon avocat !
Nu-Turn. Le précédent CD, Chance,
était une sorte de bouclage, le condensé de dix ans de création, un
voyage à travers des paysages très variés : blues électrique,
chansons acoustiques intimistes, embardées electro. Pour l’album qui va
sortir, j'avais déjà donné le titre 'Nu-Turn' à l'une des chansons. Quand il a fallu trouver un titre générique, Nu-Turn s’est imposé. Nu-Turn signifie nouveau départ,
un peu demi-tour (U-Turn). C’était un double sens amusant, et il
faisait sens et marquait une rupture par rapport à l'album précédent.
J’étais globalement content de Chance, mais c’est un album
dense, tendu par moments, j'avais envie de virer vers quelque chose de
plus calme, plus clair, moins imposant, plus facile à écouter. Je suis
un peu bipolaire avec les guitares. Cette fois, l’acoustique a eu envie
de jouer le premier rôle. J’étais dans une période assez nomade, quinze
jours ici, une semaine là, dix jours ailleurs, souvent à la campagne.
Voilà, j'aspirais à un peu de calme.
Chant : Ma voix est plus posée
maintenant qu’elle ne l’était à certaines époques, et j’éprouve
parfois quelques réticences quand je me réécoute chanter. Par moment je
la trouve un peu dure et pas assez sobre. Là, oui, je passerais bien un
petit coup de gomme. Mais trop tard, Bernard !
Je ne choisis pas de chanter une chanson en français
ou en anglais. Selon les périodes et les lieux où j’ai vécu, elles sont
sorties dans une langue ou dans une autre. Chance mêlait le français et l'anglais. Nu-Turn
est entièrement chanté en anglais. Peut être par souci d’homogénéité,
pour rompre avec le côté dispersé de l’album précédent. Bon, il se
trouve aussi que j’avais quelques textes d’avance en anglais. Disons
que c’est tombé comme ça.
Tes chansons : J’ai choisi d'intituler l'album Nu-Turn parce que… c'est un super titre. Mais ce n'est pas le morceau que je préfère. D’autre part, 'Johnny Would' a été choisi par deux mecs qui avaient envie d'en faire un clip, et je n’avais pas d’objection.
De quoi parlent les chansons ? En détail ?
Des différences de vue d’un homme et d'une femme qui vivent ensemble ('Different Wires'), d'un voyage en train comme une métaphore de la vie ('Dizzy Train'), du temps comme un allié ('Just You Wait'), d'un message découvert par accident sur un téléphone portable ('Your Girlfriend'), je suis beaucoup moins inquiet qu’avant, mais est-ce que j’ose y croire ? ('Nu-Turn'), une scène de couple inutile ('Stormy Fuss'), l’insupportable bien-pensance ambiante ('About My Business'), la misère masculine de masse et les féministes ('Johnny Would'), l’addiction au blues et au groove ('Keep Playing Them')...
Guitare : Je suis plutôt
rythmique, je joue funky et bluesy d'instinct. De façon quasi réflexe.
J'utilise directement mes doigts, très rarement le médiator. Le style,
j’ai toujours du mal à le définir. « Qu’est-ce que tu fais comme musique ? – Bah, je fais mon truc. »
J'ai l'air de crâner mais c'est sûrement la meilleure réponse. Je
combine picking et funky-rock, avec une bonne dose de blues en appui.
Il y a du blues, du rock, une pincée de folk, beaucoup de groove… Groove’n’blues, ça sonne pas mal ! Certains tissus de charpente ont aussi une teinte un peu electro… Nu-Turn est différent, il a une couleur folky, une couleur bluesy mais il sonne aussi rock intimiste.
Guitaristes : Mes préférés
sont Jeff Beck, John Scofield, Frank Zappa, Danny Gatton, Roy Buchanan,
mais quelques guitaristes acoustiques ont également coloré mon bagage,
Bert Jansch, Leo Kottke, Gary Davis, Mississipi John Hurt… Et deux mecs
que j’avais rencontrés en Angleterre, avec qui je jouais un peu à la
fin des années 60, Andy Fenrbach et surtout Marc Sullivan. J’ignore ce
que Marc est devenu. Il avait un truc unique, tellement cool…
Malheureusement, il n’a jamais gagné la place qu’il méritait, qui le
connaît ? Il jouait et chantait avec une douceur sacrée qui me
mettait la larme à l’œil. Il avait un toucher vraiment magique. Nu-Turn est surtout acoustique, mais je ne renonce pas à l’électricité. D'ailleurs sur scène, je présente l’album Nu-Turn, mais je le complète la soirée avec du groove et pas mal d’impros électriques.
Bluesiac. J’ai connu Mile Lécuyer,
il y a quelques années. Je lui avais envoyé quelques titres qu’il avait
bien appréciés. On a fini par devenir potes. Il créait son label
Bluesiac, une coïncidence qui m’a dispensé de repartir frapper aux
portes et faire sonner des téléphones… pour qu’on me réponde des choses
qui m’indisposent. Ça tombait impec !

Frontman : J’ai toujours été
mon propre frontman. Si j’ai été sideman, ça a été seulement de façon
très épisodique, notamment pour Joël Daydé à l'époque de son album HLM Blues
(1977). Peut-être aussi plus tard, vers 1982, aux côtés de Jo Lebb et
P’tit Pois (ex-Variations). Eux, Marc (Frentzel) et moi, on jouait à
Hollywood. C’était un concert de Nouvel An pour le consulat de France.
L’épisode s’est terminé en bagarre générale ! L'un des
responsables de la soirée demande à Jo de baisser la sono. Lebb
l'ignore. L'autre le lui redemande une fois, deux fois, puis il monte
sur scène pour réduire le volume. Lebb l’empoigne. D’autres mecs
déboulent, choisissent leur camp. A un moment, ils sont bien quinze à se
rouler par terre et à se taper dessus. Le concert n’a pas
continué !
Blues :
J’aime le blues, et je supporte mal d’entendre un ramassis d’éléments
de vocabulaire blues sans sentir s’exprimer, derrière, une véritable
personnalité. Un peu pareil pour le rock. Il y a longtemps que je n’ai
été vraiment excité par quelque chose de nouveau, mais je ne suis pas
hyper curieux et je suis loin de tout connaître. On a un vieux problème
en France avec la chanson française. Ce truc empêche les couleurs du
blues et du rock d’exister sainement. Un tas de petits nouveaux
utilisent la musique pour mettre en valeur leurs effets de voix et
leurs tournures de phrases. Ce n’est pas parce que ça a marché avec Piaf
ou Brel que ça marche à tous les coups, loin de là ! Quand à la
scène américaine, j’ai un peu décroché…
Best of : Trois concerts choc
entre 1966 et 1968. Tous les trois à l’Olympia : Jimi Hendrix en
première partie de Johnny Hallyday, le concert unique et mémorable de
Bob Dylan en 1966, et les Mothers Of Invention.
Ma chanson préférée ? Trop dur d’en choisir une
seule. Pareil pour l’album à emporter sur une île déserte. Par contre,
UN solo de guitare : Jimi Hendrix, la version originale de ‘Red House’ sur Are You Experienced.
Je suis allé récemment entendre Ringo Starr, Jeff
Beck et John McLaughlin. Les trois étaient bien mais, hélas, je n’ai
pas été remué. Je suis peut être un peu blasé aujourd'hui. J’aime
vraiment l’improvisation et elle fait défaut, de nos jours, dans la
plupart des concerts. Il n’y avait peut-être pas que du bon, mais je
n’ai pas oublié le psychédélisme des années 60, 70 !
Le dernier album acheté, c'est celui de Bootsy
Collins. Je te parlais de psychédélisme tout à l'heure ! Bootsy
Collins, quel plaisir ! Pour moi, c’est un peu le grand frère de
Prince. S’ils jouaient ou enregistraient un disque ensemble, quel régal
ce serait ! Espace, sensualité, grâce, humour, finesse, fil
conducteur bien épicé, où et quand il faut, plus une éthique globale
sur le comportement humain qui remet pas mal de pendules à l’heure…
Christian Casoni
Septembre 2011
www.myspace.com/erickter
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